Le travail pictural de Fabienne Verdier en dialogue avec la musique

(Texte pour le catalogue de Patrick Derom).

La peinture et la musique entretiennent avec le temps et l’espace des rapports fondamentalement différents, elles se rencontrent dès lors rarement. Il y a bien les tableaux représentant des musiciens ou des instruments de musique, ou, plus rares, des œuvres musicales se référant à des peintures (Les Tableaux d’une Exposition de Moussorgski…), mais peut-on parler alors de dialogue ?

 Fabienne Verdier, riche de son expérience et de la fréquentation de l’art chinois, passionnée de musique, opère une rencontre inédite entre les deux arts : sa résidence à la Juilliard School lui a permis d’explorer, d’expérimenter, de créer en résonance avec la matière sonore.

Qu’est-ce qui peut réunir aujourd’hui, et de manière prospective, peintres et musiciens ? D’abord le silence, sans lequel la musique ne peut se déployer. La musique doit naître du silence, être habitée par lui, et cela, un peintre peut le comprendre et le vivre de manière particulièrement intense, vu la nature même de son travail solitaire.

Ensuite, l’abstraction. Celle-ci est au cœur de la musique, de toutes les musiques. Il n’est donc pas étonnant qu’une artiste qui a fait l’expérience approfondie de l’abstraction puisse développer un langage susceptible de se mettre en résonance avec le monde musical.

Plus délicat : l’expression. Un mot bien dangereux, l’expression ; un mot très connoté, qui risque de créer de sacrés malentendus. C’est un mot que j’aime toutefois associer à l’abstraction, et cela me renvoie au travail d’une immense artiste new-yorkaise, la chorégraphe Trisha Brown, qui a su, dans ses mises en scène d’opéra et notamment dans L’Orfeo de Monteverdi, allier de manière exceptionnelle abstraction et expression, fondant celle-ci à la fois sur la dramaturgie de l’œuvre, le sens des mots, la puissance de la musique.

Peintres et musiciens parlent volontiers de « rythme ». Il me semble que le travail de Fabienne Verdier est particulièrement éloquent à cet égard : ses peintures créées à la Juilliard School se sont pas sans similitudes avec des partitions musicales, elles semblent avoir reçu l’empreinte des rythmes et des accents des musiques qui les ont inspirées.

La couleur pourrait être un autre élément reliant peinture et musique : les peintures de Fabienne me semblent avoir moins exploré ce rapprochement, peut-être parce que le maniement de la couleur exigerait un temps plus étendu. Mais les textures, parfois en noir et blanc, parfois multicolores, me semblent également très proches de textures musicales, qu’il s’agisse du jazz ou de polyphonies anciennes.

Repensant à Paul Klee, l’un des grands peintres les plus « musiciens » dans son art, il me semble percevoir une forme de filiation – ou s’agit-il plutôt de parallélisme ? – avec le travail de Fabienne Verdier dans la manière d’imprimer la marque du temps dans une peinture, plus précisément dans le rythme et dans le jaillissement de certaines textures… 

Virtuosité : je me méfie de cette notion rabâchée, elle renvoie trop souvent à des formes de virtuosité gratuites, spectaculaires mais superficielles. Mais j’admire profondément la virtuosité du « geste » dont parlait si bien Luciano Berio, et qui a imprégné tant de ses œuvres, à commencer par ses magnifiques Sequenzas, et tant d’œuvres de ses contemporains. Je retrouve une virtuosité comparable dans le travail pictural de Fabienne, grâce à l’empreinte du temps et du geste de l’improvisation.

Il sera passionnant de suivre l’évolution de la création de Fabienne Verdier dans les prochaines années, et de voir jusqu’où elle ira dans le geste de la création picturale accompli en résonance avec le geste musical.

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« Pour aller à la rencontre des autres, il faut d’abord aller à l’encontre de soi, » écrit Fabienne dans sa dédicace aux jeunes musiciens qu’elle a fréquentés dans l’institution new-yorkaise. « Autrement dit, accepter de se mettre en danger. » Aller à la rencontre des autres, des autres individus, des autres cultures, n’est-ce pas l’un des plus grands défis que nous adressent ce monde, marqué par les migrations, les guerres, le fanatisme, les conflits culturels et religieux… ? L’idée que cette rencontre de l’autre ne soit possible que parallèlement à une meilleure connaissance de soi me séduit ; elle me parle parce qu’elle touche à la fois à la personne individuelle, à la communauté, peut-être à la nation. En tout cas, le fait qu’une expérience artistique puisse s’ouvrir sur de tels questionnements confirme que la création artistique reste étroitement reliée aux enjeux majeurs de notre temps.

Bernard Foccroulle

Voir aussi le texte intitulé « A la recherche de résonances nouvelles entre peinture et musique » dans le Catalogue de l’exposition de Fabienne Verdier au Musée Granet, Aix-en-Provence, 2019.

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